La numérisation des manuscrits
Le
microfilmage : une première étape
La numérisation
ne constitue au départ qu’un moyen supplémentaire de préservation
pour les documents patrimoniaux. En ce sens, cette technique succède
au microfilmage.
Au cours des années 1960, un premier microfilm de l’ensemble des manuscrits avait été réalisé dans un souci de préservation.
La
campagne de reliure réalisée entre 1994 et 1999 s’est
également accompagnée d’un nouveau microfilmage de l’ensemble
des manuscrits par la Bibliothèque nationale.
Ce document de substitution permettait déjà de communiquer
à tous les chercheurs et curieux ces documents précieux sans
que les originaux soient eux-mêmes sollicités à un rythme
incompatible avec leur conservation, avec les limites pratiques que détermine
cette reproduction analogique des documents. Le microfilm suit fidèlement
la présentation de l’original. Cela convient parfaitement pour
le manuscrit définitif et celui du copiste, écrits uniquement
au recto. Mais lorsqu’il s’agit de pages de brouillons, écrites
recto-verso, généralement réutilisées en sens
contraire, le microfilm présente des pages dont le sens de lecture
s’inverse quasiment à chaque vue, conformément à
l’original. Son utilisation pour la recherche présentait donc
des difficultés certaines.
La numérisation, nouvelle voie pour une mise en valeur
La
numérisation intégrale du corpus constituait le seul moyen
pour parvenir à présenter au public ces manuscrits en préservant
pleinement la qualité des originaux conservés.
Elle permet une vision des pages dans le sens de la lecture, sans que la
consultation soit soumise à l’ordre de présentation
physique des manuscrits. Les pages de brouillons sont rendues indépendantes
de la place factice qui leur a été assignée lors du
classement initial et définitivement fixée par leur reliure
en volumes.
Le
format numérique surtout, par nature portable sur différentes
plateformes de lecture, offrait de nouvelles perspectives, et permettait
d’envisager l’accès à tous, par le Web, de ces manuscrits
exceptionnels, sous une forme beaucoup plus aisée que les originaux
eux-mêmes.
La thèse de Marie Durel soutenue en 2000 (Centre Flaubert, Université
de Rouen, dir. Yvan Leclerc), qui propose un classement génétique
de la totalité des brouillons, associée au travail de modélisation
informatique effectué par Jean-Eudes Trouslard (les tableaux génétiques),
fournissait enfin un fil conducteur cohérent pour la présentation
et l’interrogation des images numérisées du corpus,
en permettant de restituer l’ordre de rédaction par l’auteur.
Les manuscrits de Madame Bovary pourraient alors être consultés
en choisissant parmi les trois formes de mise en ordre existantes : ordre
de foliotation des manuscrits, ordre chronologique de l’écriture,
ordre scénarique
du récit.
Préserver, valoriser, communiquer
La démarche de numérisation constitue aujourd’hui un secteur d’activité nouveau pour les bibliothèques publiques et certaines bibliothèques spécialisées et universitaires.
Elle
permet de diminuer la sollicitation des documents patrimoniaux tout en offrant
un meilleur service : les copies sur CD-rom sont de très
bonne qualité, la transmission à distance offre un avantage
indéniable pour l’accès aux documents.
Elle s’inscrit dans une logique de publication des sources, particulièrement
de corpus qui ne feraient que difficilement l’objet d’éditions commerciales,
car concernant des œuvres ou des auteurs mineurs, des travaux de recherche
très ciblés, ou des ensembles considérables posant
d’évidents problèmes économiques pour leur diffusion.
Cette démarche est au cur de la mission de service public des
bibliothèques, et permet l’accès et l’exploitation de documents
jusqu’alors maintenus dans l’ombre, voire inconnus du grand public.
Les interfaces de communication de l’archive numérisée, pouvant bénéficier aujourd’hui dans leur conception des avancées proposées par les méthodes les plus récentes du génie logiciel et les préconisations des ergonomes, doivent satisfaire une diversité de publics : les chercheurs et étudiants attachés aux œuvres ainsi mises en lumière, mais également le grand public, collégiens, lycéens ou simples curieux désireux d’approcher au plus près le travail de l’écriture et la création sans pour autant se confronter directement à l’épaisseur complexe et à la dimension intimidante des sources documentaires savantes.
L’objectif de la numérisation des manuscrits de Madame Bovary ne s’arrêtait pas à la production d’une nouvelle copie de substitution, mais constituait une simple étape dans la démarche générale de valorisation du projet, devant permettre ensuite la transcription intégrale des feuillets et leur classement informatisé.
Le but final était précis : rendre lisibles et compréhensibles les images produites et faciliter la navigation de la lecture du texte aux images des manuscrits grâce à leur indispensable transcription, pour permettre à tous les publics d’approcher la complexité du travail de la phrase chez Flaubert à travers la restitution de la chronologie de rédaction pour chaque passage du roman.
La solution mise en œuvre
En juillet 2002, à l’issue d’une consultation qui a permis de comparer différents systèmes de numérisation, la Bibliothèque a fixé son choix sur une solution combinant un dos numérique haute résolution couplé à un boîtier photographique moyen format de qualité professionnelle. La chaîne de numérisation a été installée sur site en septembre de la même année, et après les indispensables réglages de l’ensemble des éléments, les travaux de prises de vues ont commencé au début du mois de décembre 2002.
La solution de prise de vues est connectée directement à une première station graphique dédiée à l’acquisition des images, elle-même en réseau avec une seconde station assurant l’ensemble des traitements d’optimisation des images destinées à la publication : recadrage et légère accentuation.
Pour
garantir une fidélité parfaite aux originaux, différents
éléments complémentaires s’insèrent également
dans cette chaîne :
–
un générateur piloté à partir du clavier de
la station d’acquisition et permettant une grande modularité dans
les niveaux d’éclairage ;
– tous les éléments de la chaîne calibrés
régulièrement pour garantir un rendu identique des couleurs,
depuis le capteur du numériseur jusqu’aux écrans et à
l’imprimante de la chaîne.
Les principaux objectifs des prises de vues étaient bien sûr dictés par les objectifs du projet :
– une fidélité aussi parfaite que possible aux originaux, pour respecter tant les contenus manuscrits que la matérialité du dossier (texture et grammage du papier utilisé, différence d’intensité dans les encres, forme des feuillets parfois découpés ou déchirés) ;
Une campagne de dix mois
La
numérisation intégrale des brouillons et manuscrits de Madame
Bovary a duré près d’une année : démarrée
en décembre 2002, elle ne s’est achevée qu’au mois d’octobre
2003.
La chaîne
de numérisation étant également destinée à
servir les autres projets de l’établissement et à répondre
aux demandes croissantes des clients de la Bibliothèque, cette durée
exceptionnellement longue doit être relativisée mais elle est
à la mesure du volume représenté par ces manuscrits.
À la différence d’autres campagnes, portant sur des œuvres plus anciennes, dont l’état matériel était beaucoup plus problématique, la manipulation des manuscrits a posé peu de difficultés aux opérateurs.
Le défi provenait de la masse de feuillets à numériser, compliquée par certains montages complexes, et l’attention permanente portée au nommage des fichiers produits pour s’assurer que la foliotation, capitale pour les traitements informatiques suivants, serait préservée et sûre.
Une archive électronique intégrale... retournant à l’armoire
L’archive de la campagne (fichiers de prises de vues bruts) est conservée au format TIFF (sans compression, chaque fichier archivé pesant approximativement 28 Mo (soit une moyenne de 25 fichiers par CD ROM).
Cette archive
représente un ensemble de 4 727 clichés, stockés sur
188 CD-roms, conservés depuis dans une armoire fermée
au sein du laboratoire de numérisation de la Bibliothèque
de Rouen.
C’est ainsi un étrange itinéraire qu’auront suivi les manuscrits de Madame Bovary : extraits de leur armoire de la
Villa Tanit en 1914 par Caroline Franklin Grout pour être donnés
à la Ville de Rouen, ils retournent ainsi en armoire en 2004... non
sans avoir été au préalable transformés, copiés
et révélés ainsi à l’ensemble du public.