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J’ai 33 ans. J’enseigne depuis douze ans en ZEP. J’ai commencé au collège Youri Gagarine, puis j’ai demandé à venir au lycée de la Plaine de Neauphle, convaincue que mon travail y avait plus de sens qu’ailleurs.
Fin août 2005, j’étais encore une jeune maman insouciante. En fait, j’avais accouché en mai de mon deuxième garçon et les nuits sans sommeil, les petits tourments quotidiens, les pleurs, la jalousie de l’aîné m’avaient quelque peu lessivée...). J’étais donc ravie de reprendre les cours en septembre et de retrouver des moments où j’allais pouvoir redevenir un peu moins mère et un peu plus femme.
J’étais même prête à me relancer dans différents projets.

C’est ce moment qu’a choisi ma collègue et amie Anne Perthuis-Lejeune pour me proposer de participer avec une classe de seconde à la transcription des brouillons de Madame Bovary. Dans le lycée de Trappes où nous enseignons, nous sommes persuadées que ce n’est que par ce genre d’actions culturelles ambitieuses que nous pouvons faire évoluer l’image de la ZEP.

Mais tout de suite, l’ampleur du travail nous est apparue. J’adore l’écriture de Flaubert. J’ai pris un grand plaisir à relire les aventures d’Emma avec un regard qui n’était plus celui de l’adolescence ou de l’étudiante de lettres qui prépare son CAPES. Cependant, plus je me plongeais dans le regard destructeur du narrateur (en me surprenant à rire sans retenue à la lecture de plusieurs passages savoureux), plus je me disais que le travail sur l’interprétation des personnages allait être difficile sans un éclairage sur le sens général de l’œuvre.

C’est ce que nous avons essayé de faire. Certains ont donc adoré Madame Bovary sans trop savoir expliquer pourquoi. D’autres ont détesté, condamnant la femme adultère sans appel. Le pauvre Bovary était taxé de « meskin » (le pauvre, en arabe) ; « ça s’fait ap ! » disaient-ils, et ils voyaient dans le dénouement final un juste châtiment divin. D’autres – probablement la majorité pour être honnête – ont choisi de ne pas le lire tout simplement.
Mais pour tous, le travail sur les brouillons a été profitable.

Ce qui m’a semblé essentiel, c’est la réflexion indispensable sur le sens que chaque écrivain cherche à donner à son œuvre par le travail sur l’écriture.
Que de passerelles fructueuses ont pu être faites par la suite : je n’avais plus à répondre aux questions habituelles : « Mais Madame, comment vous savez que l’auteur il a voulu dire ça ? Si ça se trouve…»
Le fait de voir les notes en marge, les ratures, les mots sans cesse remplacés jusqu’à la phrase parfaite, tout ceci a permis de faire avancer énormément le travail sur l’interprétation des textes.
Nous avons bien sûr commencé par déchiffrer nous-mêmes les brouillons. Nous les avons répartis ensuite de façon à ce que deux élèves (trois maximum) aient en charge la transcription d’un brouillon. Ils étaient très fiers à l’idée d’avoir leurs noms sous les transcriptions.
La plupart d’entre eux passent le bac cette année.
Ils ont beaucoup apprécié la rencontre avec Danielle Girard, et leur lettre le prouve : « Merci de vous être déplacée et de nous avoir consacré du temps. Vous nous avez bien aidés dans nos recherches. Continuez à faire aimer Flaubert à beaucoup d’autres lycéens ! »

Avec eux, le travail s’est prolongé. Il ont écrit une plaidoirie de Flaubert pour défendre ses choix littéraires au procès intenté contre le roman.
Ils ont finalement écrit la reconstitution d’un procès joué au tribunal de grande instance en juin 2005 : cela leur a permis de réinvestir tout le travail effectué sur l’utilisation du brouillon et de devenir à leur tour… des écrivains !

Anne-Cécile Franc habite à Maurepas (Yvelines).
Elle a transcrit la séquence 114 : Échec de l’opération  
avec une classe du lycée de la Plaine-de-Neauphle, à Trappes
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